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LIVRE IV. — CHAPITRE III.

mier venu. C’est probablement lui qui, dans l’expérience imitative (ce que nous appelons l’expérimentation), recommande de tenir compte exactement des échecs et des succès, en d’autres termes, d’introduire, avec la mesure et le calcul, la rigueur scientifique. C’est lui[1], enfin, qui considère le passage du semblable au semblable comme donnant seulement la probabilité, et non la certitude, aussi longtemps du moins que les conclusions « ne sont pas confirmées par des expériences expressément instituées pour les vérifier. En même temps, il modifie la terminologie, substituant des termes purement empiriques aux expressions équivoques qui avaient servi jusque-là aux dogmatiques et aux empiriques. Avec toute raison, selon nous, Philippson, en décrivant la méthode des empiriques, évoque le nom de Stuart Mill. Mais ce n’est pas aux empiriques en général, c’est à Ménodote qu’il faut faire cet honneur ; c’est lui qui a eu, aussi clairement qu’on le pouvait à cette époque, et en s’occupant d’une science telle que la médecine, qui aujourd’hui encore ne comporte guère une rigoureuse application des procédés de la méthode inductive, quelques-unes des vues les plus importantes du logicien anglais. Il est aussi un autre nom qui vient à l’esprit quand on considère l’œuvre du médecin grec : c’est celui de notre Claude Bernard. Qu’est-ce autre chose, en effet, que ces ressemblances qui font connaître le possible, non le réel, et ne donnent que la probabilité tant que l’expérimentation n’a pas prononcé, sinon l’hypothèse si bien décrite par le savant français et dont le rôle essentiel dans la science a été si victorieusement démontré par ses théories et ses découvertes ? En tout cas, si un tel rapprochement paraît trop ambitieux, on ne peut contester que Ménodote a fait preuve d’un véritable esprit scientifique, qu’il a eu l’idée nette et précise de ce que devait être la méthode

  1. Un fait qui montre bien l’originalité de Ménodote et confirme la supposition que nous avons émise en disant que c’est par Ménodote que s’est faite la conciliation du scepticisme et de l’empirisme, c’est que le pyrrhonien Cassius combattait l’emploi de l’ὁμοίου μετάβασις (Gal. Subfig. emp., 40). C’est Théodas et Ménodote qui ont soutenu les premiers parmi les sceptiques la légitimité de ce raisonnement.