Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
DIVISION DE L’HISTOIRE DU SCEPTICISME.

et l’opposition des systèmes auxquels s’étaient arrêtés les philosophes antérieurs. Il est nécessaire ici de se défendre d’une sorte d’illusion d’optique. Nous nous figurons volontiers que, parmi tant de systèmes, ceux de Platon et d’Aristote, si différents par certains détails, si semblables au fond, étaient les seuls avec lesquels il fallût compter. À la distance où nous sommes, nous voyons ces grands systèmes s’élever au-dessus des autres, à peu près comme à mesure qu’on s’éloigne d’une chaîne de montagnes, on voit se détacher plus nettement l’imposante majesté des plus hauts sommets. Il n’en était pas ainsi au temps où ils prirent naissance : ils paraissaient tous à peu près au même niveau. Quand les plus anciens historiens, Sotion et Hippobotus, essayent de les classer, ils nomment ensemble, dans un pêle-mêle et avec un sans-façon qui nous offensent, le mégarisme, le cyrénaïsme, le platonisme, le péripatétisme, le cynisme. Diogène Laërce, dans son grand ouvrage, consacre bien un livre entier à Platon, mais il ne fait pas à Aristote le même honneur. Cicéron lui-même énumère une foule de systèmes : ceux de Démocrite, d’Empédocle, de Platon, d’Aristote, sans avoir l’air de faire entre eux une bien profonde différence. La diversité et l’opposition des systèmes étaient donc, au temps de Pyrrhon, bien plus frappantes que nous ne sommes à présent tentés de le supposer, et on comprend que des esprits d’ailleurs éclairés et ouverts, tiraillés en tous sens, assourdis, comme le dira Timon, par les cris discordants des écoles qui se disputent les adeptes, aient cherché le repos dans l’abstention et le doute.

À côté de ces causes d’ordre intellectuel, il faut sans aucun doute faire une place aux influences extérieures et politiques. L’époque où apparut le scepticisme ancien est celle qui suivit la mort d’Alexandre. Les hommes qui vivaient alors avaient été témoins des événements les plus extraordinaires et les plus propres à bouleverser toutes leurs idées. Ceux d’entre eux surtout qui avaient, comme Pyrrhon, accompagné Alexandre n’avaient pu passer à travers tant de peuples divers sans s’étonner de la diversité des mœurs, des religions, des