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LIVRE I. — CHAPITRE III.

La même contradiction que nous remarquons entre la tradition académique et la tradition sceptique se retrouve dans les textes les plus anciens et les plus authentiques que nous ayons, ceux de Timon. D’une part, en effet, nous voyons que d’après Pyrrhon et Timon[1] le bien et le mal sont choses de convention, fondées uniquement sur la coutume ; les lois ont été instituées au hasard[2] ; il n’y a point de justice selon la nature.

Mais d’autre part, chez le même Timon, Pyrrhon nous apparaît sous un aspect tout nouveau. S’adressant à son maître, le disciple s’écrie[3] : « Voici, ô Pyrrhon, ce que je voudrais savoir. Comment, n’étant qu’un homme, mènes-tu une vie si facile et si paisible ? Comment peux-tu guider les hommes, semblable au Dieu qui promène tout autour de la terre et découvre à nos yeux le disque enflammé de sa sphère ? » Puis, dans un autre passage[4] qui semble bien être la réponse de Pyrrhon à cette question, nous lisons : « Je te dirai ce qui me paraît être la

  1. Sext., M., XI, 140 : Οὔτε ἀγαθόν τι ἔστι φύσει, οὔτε κακὸν,
    ἀλλὰ ϖρὸς ἀνθρώπων ταῦτα νόμῳ κέκριται,

    κατὰ τὸν Τίμωνα. Nous lisons avec Hirzel (p. 56) νόμῳ au lieu de νόῳ (Bekker).

  2. Timon (Mullach, 125) : … εἰκαίής νομοθήκης..
  3. Diog. IX, 65.

    Τοῦτό μοι, ὦ Πύρρων, ἱμείρεται ἦτορ ἀκοῦσαι
         πῶς ποτ' ἀνὴρ ἔτ’ ἄγεις ρῇστα μεθ’ ἡσυχίης
    μοῦνος δ' ἀνθρώποισι Θέου τρόπον ἡγεμονεύεις
         ὅς περὶ πᾶσαν ἑλὼν γαῖαν ἀναστρέφεται
    δεικνὺς εὐτόρνου σφαίρας πυρικαύτορα κύκλον.

    Les trois derniers vers sont cités par Sextus (M., I, 305) ; nous citons les troisième d’après lui ; il ne semble pas douteux, malgré une légère différence dans le troisième vers, que ce passage soit la suite de celui qu’a cité Diogène.

  4. Sextus, M., XI, 20.

    ἦ γὰρ ἐγὼν ἐρέω ὥς μοι καταφαίνεται εἶναι
         μύθον ἀληθείης ὀρθὸν ἔχων κανόνα,
    ὡς ἡ τοῦ Θείου τε φύσις καί ταγαθοῦ ἔχει,
         ἐξ ὧν ἰσότατος γίνεται ἀνδρὶ βίος.

    Avec Natorp, Forsch. z. Gesch. d. Erkenntinissproblems im Altert. Berlin, 1884 (p. 292), nous lisons ἔχει au lieu de αἰεὶ. L’interprétation proposée par Hirzel (p. 28) pour le vers ὡς ἡ τοῦ Θείου… semble une vaine subtilité.