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la garçonne

— Alors, lâche-moi.

Il l’avait saisie par le poignet, la secouait brutalement… Il était le maître, — l’homme, et le père, chef de famille.

— Et d’abord, tu céderas. Tu n’es pas majeure ! Tu nous dois obéissance.

Elle secoua la tête, en criant :

— Lâche-moi ! Tu n’es qu’une brute ! Je partirai, avec tante Sylvestre… Ici je ne suis pour ma mère qu’une poupée… On en joue, et puis on la casse ! Et pour toi ! pour toi… Moins encore : un bétail qu’on vend !… La famille ! C’est du propre. Je n’ai besoin de vous ni de personne. Je travaillerai, je gagnerai mon pain.

Il ricana, transporté de rage :

— Avec tes fleurs peintes, peut-être ?… Ou en raccrochant, hein ? Ça te connaît… À ton aise. Bonsoir. Que je ne te retrouve pas à l’heure du dîner !

— Sois tranquille !

Une sonnerie tinta. Ils s’arrêtèrent.

— C’est Lucien ! dit Monique.

M. Lerbier courut à la porte du salon, mais elle le devança, ouvrit sans qu’il eût le temps de la retenir :

— Sacredieu ! jura-t-il, je te défends…

Déjà, humble, l’air à la fois suppliant et tendu, Lucien était entré. M. Lerbier déconcerté le regarda, regarda sa fille, et voyant tout perdu, cria :

— Elle est folle ! mon cher ! Folle !… N’écoutez pas un mot de ce qu’elle va vous dire… Je vous verrai ensuite. Venez dans mon cabinet. Nous causerons…

Monique avait pris Lucien par le bras. Son père parti, et sitôt seuls, elle le lâcha. Un peu de son exaltation avait soudain disparu. Le plus cruel était