Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
la garçonne

son tour celui de qui elle avait attendu le bonheur de sa vie, et qui l’avait, en une minute, précipitée à l’inconnu…

Lucien Vigneret souffrait sans comprendre. Caractère, éducation, tout en lui faisait obstacle, entre le fait et son appréciation. Il la haïssait, et pourtant la regrettait. Un moment même il balança si, faisant taire sa rancœur, il ne lui proposerait pas la continuation de leurs projets : mariage compensé par une liberté réciproque. Mais avec un numéro pareil !… Mieux valait simplement rattraper l’affaire, sous quelque autre forme, avec le père. Peut-être, somme toute, l’avait-il échappé belle ! Il n’en gardait pas moins un sentiment trouble. Perdue, — et de toute manière, — elle lui semblait désirable encore. Autrement, et, peut-être même davantage.

Elle s’en rendit compte, écœurée à l’étrange lueur de son regard, et voulut sa revanche entière :

— Regardez-moi ! Oh ! ce n’est pas de votre jugement que je me soucie ! Je voudrais seulement que cette leçon vous serve… J’aurais pu vous pardonner une erreur… Mais la conception que vous avez de la vie, des hommes, des femmes, votre pensée, toutes vos pensées !… Le mépris qu’elles témoignent de moi… Cette méconnaissance du cœur et de l’intelligence, voilà ce qui est impardonnable. Voilà ce qui nous fait aussi étrangers l’un à l’autre que si nous étions des êtres de race et même de couleur différentes. Voilà ce qu’il vaut mieux, croyez-moi, avoir mis à nu, tout de suite. Les souffrances d’un jour nous épargnent des années de malheur.

— Que fallait-il faire ?

— Tout m’avouer… avant !