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la garçonne

roucoulement de colombe, quand on lui baisait la bouche. C’était le temps des bonnes soirées chez Anika Gobrony. Pas bégueule au moins, Gi, comme cette sainte-n’y-touche de Monique !…

Hélène Suze était de celles qui avaient accueilli sans contrôle toutes les horreurs qui d’abord avaient couru : Vigneret avait surpris sa fiancée dans une chambre d’hôtel avec un négociant roumain dont elle était enceinte. Les parents l’avaient chassée. La tante s’était suicidée de chagrin…

Aujourd’hui, à retrouver leur ancienne amie relancée, avec éclat, dans la circulation parisienne, Max de Laume et Michelle d’Entraygues, — oublieux de leurs récents dédains, — lui souriaient, indulgents. Hélène Suze alla même jusqu’à déclarer :

— Après tout, elle est bien libre ! Avec du talent et de l’argent, on peut tout se permettre.

Froidement lâchée par tous du jour au lendemain, Monique, un an après sa disparition, avait fait sa rentrée en ouvrant, rue de la Boëtie, un magasin. Art ancien et moderne. Pierre des Souzaies, rencontré peu avant, — comme elle venait de réaliser la petite fortune de sa tante (cent cinquante mille francs d’économies et autant du pensionnat vendu), — l’avait orientée vers la profession dont il tirait lui-même sa matérielle.

Dans son dégoût de l’existence, elle avait trouvé en lui, en même temps qu’un associé dévoué, un indicateur et un guide d’autant plus précieux qu’il était, hors le point de vue commercial, désintéressé. Des cartes élégantes avaient notifié, aux relations d’antan, le faire-part de résurrection : Monique Lerbier, au Chardon Bleu.