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la garçonne

rait, à son indifférence totale, tout le chemin parcouru, dans l’éloignement du passé… C’était la première fois qu’elle rencontrait ces revenants. Témoins de son existence antérieure, ils ne l’émouvaient pas plus que si elle leur eût dit au revoir la veille.

Elle sentit, à ce signe, la plaie en train de se cicatriser… N’avait-elle pas, un mois plus tôt, aperçu déjà son ancienne rivale, Cléo, à une répétition générale, sans rien éprouver qu’une curiosité platonique ?

Les seuls êtres dont la vue eut été capable de la faire souffrir encore, — comme souffrait son souvenir chaque fois que, de plus en plus rarement, elle ressassait les jours abominables, — c’étaient ses parents et Vigneret. Elle n’avait jamais retrouvé celui-ci sur son chemin. Et elle avait obstinément refusé tout rapprochement avec les siens, malgré les invites que Mme Lerbier depuis quelques mois lui avait faites, à diverses reprises : Monique, étant quelqu’un, commençait à revaloir quelque chose…

L’orchestre, attaquant une « scottisch espagnole », coupa court la mauvaise humeur de Niquette. Elle grognait, en enlaçant sa danseuse, qui se laissait faire ainsi qu’une dormeuse debout :

— Hélène Suze ?… Attends donc, J’ai entendu parler d’elle, par un type qui fumait chez Anika… Il paraît qu’un soir de réveillon, il y a deux ans, ils ont fait dans son atelier une de ces bombes !… Oui, ta Suze, et une pucelle à la mords-moi le doigt, qui aurait épousé, depuis, un ministre… Mais ce jour-là il n’y en avait que pour ces dames ! Pourtant il y avait aussi là un journaliste qui regardait… Attends ! Tu ne connais que lui !… Celui qui fait les maisons de couture… un blond, la bouche en cœur…