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la garçonne

À genoux, les bras allongés et le dos immobile, le danseur nu, prosterné, touchait du front le sol de ténèbres. Sa blancheur se détachait, pure, sur le fond de rêve. Soudain, comme reprenait la cadence des arpèges, le marbre s’anima : le beau corps harmonieusement se redressait. Dans une gravité d’invocation, tout l’être haussé d’un élan sans fin, Peer Rys tendait vers un ciel imaginaire sa splendeur de jeune dieu. Il était si beau qu’il paraissait chaste.

L’orchestre déroula le thème éternel, des murmures du désir aux cris de la passion déchaînée. À travers les sables, la forêt, l’eau, le feu, la Danse multiforme bondit, de la fraîcheur du matin aux tièdes nuits d’étoiles. Mais, au monotone rappel des flûtes et des lyres, enfin s’imposa l’azur implacablement bleu.

Monique, suspendue aux mouvements du danseur, évoquait, déroulée autour du Bacchus indien, toute la théorie des cortèges antiques. Elle surgissait avec son ivresse sacrée, au fond de toutes les âmes. Minute intense où Peer Rys incarna, à lui seul, tout le délire orgiaque.

Quand il s’abattit, épuisé, un tumulte d’applaudissements et de clameurs crépita. Les rideaux retombés aussitôt s’entre-bâillèrent, le triomphateur parut. Il saluait en souriant, très maître de lui, et sans nul signe de fatigue. La frénésie des bravos était telle que l’enthousiasme de Monique en fut gêné. Les femmes, debout, criaient : « Encore ! Encore ! » Ce n’était plus le danseur nu, pas même un gymnaste, C’était un homme à poil, athlète complet que visiblement elles acclamaient. Mais Peer Rys se dérobait avec modestie à l’ovation…