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la garçonne

Monique, renversée sur sa chaise, écoutait avec douceur les galanteries que lui débitait Peer Rys, un peu ivre. Elle avait la tête lourde et n’entendait que le son cuivré de sa voix. Elle se souciait peu du sens des mots. Elle n’était pas désireuse qu’il eût de l’esprit, même elle préférait, pour ce qu’elle en voulait faire, qu’il ne fut que ce qu’il était : une belle machine à plaisir.

Il l’avait prise par la taille. L’inconscient travail, qui, depuis quelques jours se poursuivait en elle brusquement venait de se matérialiser en un projet qui, peu à peu, se précisait…

Le piano s’était tu. Dans un angle obscur de l’atelier, Hélène Suze, Michelle et Anika Gobrony gisaient étendues, sur un amoncellement de coussins. Une lampe turque éclairait vaguement, d’un feu rouge, l’entrelacs de leur groupe indistinct… Monique, du même regard indifférent, constata que Cecil Meere et Pierre des Souzaies avaient disparu, et que Ginette et Max de Laume s’étaient levés de table, suivis par M. Hutier. Elle l’aperçut affalé dans le tombereau d’un fauteuil anglais, l’œil oblique, non loin du divan où la ministresse venait de s’allonger, en entraînant son cavalier…

Si avertie qu’elle fût de la corruption de ce milieu, qu’elle avait autrefois traversé comme une salamandre la flamme, Monique trouva que les anciens amis « allaient fort ». Peer Rys, avec son profil de médaille antique, lui parut, au contraste, plus frais encore, et reposant. Elle répondit, d’une longue pression de mains, à sa prière…

Après tout, pourquoi ne jouir qu’à demi de la minute éphémère ? Pourquoi cette crainte absurde