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la garçonne

lui donnait Mlle Claire : Le baron Plombino était enchanté de son nouveau fumoir, en érable veiné et velours cendre… Il présentait ses hommages à « Mademoiselle ». Les maquettes des décors pour la nouvelle pièce de Fernand Dussol seraient prêtes ce soir… Madame Hutier avait déjà téléphoné deux fois. Elle redemanderait la communication, un peu plus tard…

— C’est bien, merci, Claire.

Monique étouffa un nouveau bâillement. Rien ne l’intéressait plus… La journée s’étendit monotone, au regard de son ennui. Elle jeta, en s’arrêtant devant une glace qui reflétait un savant éboulis d’étoffes, croulant et cascadant en flots violet et or, un regard mécontent…

Quels yeux ! Pas étonnant, après une nuit pareille !

Elle l’avait passée tout entière à fumer, seule avec Anika Gobrony. Heures délicieuses aux sens engourdis, mais qui lui laissaient le lendemain, avec une sensation de vide, le dégoût de tout ce qui n’était pas oubli apaisant de la drogue. Heures de nirvana, coupées de longues causeries, entre les pipes. Heures blanches, où toutes deux, fraternellement allongées de chaque côté du plateau, évoquaient d’interminables histoires, sans aucune espèce d’intérêt… Potins misérables, reflétant l’atonie du cercle où lentement s’enlisaient, avec le talent de la grande violoniste qu’avait été Anika Gobrony, les jolis dons de l’artiste et de la femme, en Monique.

Elle tressaillit. L’appel impérieux du téléphone retentissait. Elle avait maintenant une phobie de ces sonneries brutales, comme d’une intrusion d’importuns, dans son marasme.