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la garçonne

après qu’il l’eut saluée, Georges Blanchet. Plus moyen de l’éviter !…

Elle l’avait, depuis sa fameuse rencontre chez Vignabos, revu une ou deux fois. D’abord rue de Médicis où, hostile, elle lui avait à peine adressé la parole. Puis à Vaucresson, chez Mme Ambrat. Ils avaient alors vaguement sympathisé. Blanchet, nommé professeur au lycée de Versailles, — où il avait sauté, de Cahors, après un livre de pédagogie remarquable, — était venu au Vert-Logis se documenter pour un article sur l’œuvre des Enfants Recueillis. Évidemment c’était un homme bon et intelligent. Mais elle ne lui pardonnait pas d’avoir été, autrefois, trop perspicace devin.

Il avait toujours sa courtoisie discrète et sa mine souriante d’évêque. Le visage glabre s’était seulement un peu empâté. Il s’enquit poliment de ses travaux, en la félicitant de ses succès. Elle éluda, avec une modestie si peu feinte qu’il en manifesta sa surprise, et, piqué d’une curiosité, la regarda mieux. Le teint, naguère si éclatant, avait perdu de sa fraîcheur. Un cerne profond soulignait de bistre les yeux désenchantés. Un pli donnait à la bouche, pourtant ravissante, une expression dure…

Elle perçut le constat. Et devinant qu’il était, par Mme Ambrat, au courant de bien des choses, elle fut prise d’un accès d’amère franchise :

— Vous me trouvez changée, hein ? Oh ! pas de phrases !… Vous avez raison. Je ne ressemble guère à la jeune fille avec qui vous avez autrefois disserté : Du Mariage !…

Il entr’aperçut, sans en deviner la profondeur, une plaie secrète, protesta, avec une sympathie spontanée :