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la garçonne

— J’sais bien que j’ai pas de conseils à donner à Madame… Mais si c’était moi !… S’en aller pour des giries !… Y a pas de bon sens…

Monique endossait son imperméable, et sur le bonnet de cuir, qu’elle venait de décrocher de la patère, rabattait le capuchon. Julia, stupéfaite, observa :

— Ah ! bien, s’il fallait qu’on se quitte, chaque fois qu’on se dit ses raisons !… Mais les hommes, c’est comme ça. Faut qu’ils soient les maîtres… Ça se comprend, pisqu’ils sont les plus forts. Moi, tenez, le mien, il m’a fichu du vitriol. Ça n’a pas empêché que quand mon autre est mort, j’suis retournée à la maison. C’était mon mari, s’pas… Le vitriol, c’était son droit… Et puis on n’a pus d’enfants, ils sont morts. Alors on reste ensemble. Il m’bat bien, de temps en temps… Ben quoi ? Ça r’mue les idées, un moment… Et pis on s’dit : faudra bien claquer un jour !… Alors, tout ça, qu’est ce que ça fiche !… Restez, allez. C’thomme, il vous aime bien, tout de même… Il a du sang, c’est vrai !… Dame, aussi ! c’est un homme !

Monique frissonna, avec autant de mélancolie que de dégoût. Cette acceptation avachie, cette misérable accoutumance ! Julia lui parut incarner, soudain, ses milliers de sœurs populaires. Ah ! celle-là n’avait pas eu le loisir de s’attarder à la psychologie ! L’analyse ? bon pour celles qui n’ont rien à faire !… Elle lisait, au visage vultueux et taraudé, des siècles d’humble peine et d’écrasant servage. Quel abîme entre elles ! Se comblerait-il, un jour ?

— Je vais jusqu’au village commander une voiture. Je partirai par le train de huit heures,

— Avec ce temps !

La porte claquait. Julia, vexée, rentra dans sa cuisine,