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la garçonne

Tandis que Monique, claquemurée dans sa songerie, répondait par monosyllabes aux potins dont Michelle griffait les petites amies, Mme Lerbier se laissait bercer, indolemment. Excellente voiture, après les rendez-vous fatigants de l’après-midi… Exposition des portraits anglais, la cohue, on ne voyait rien !… Puis le nouveau Thé-Dansant de la rue Daunou, — pas une table libre !… Et de cinq à six, pour l’achever, le divan de Roger…

Un frisson la parcourut, de la nuque au creux du dos. Elle sourit mystérieusement à l’étroite glace qui lui renvoyait, au-dessus du nécessaire de cristal et d’or, son visage plein. Les rides, sous le maquillage adroit et les massages sévères, n’y marquaient pas plus que les baisers dont tout à l’heure…

Uniquement préoccupée de sa personne, Mme Lerbier n’avait, à cinquante ans, qu’un but. En paraître trente. C’est ainsi que, ménagère distraite, elle présidait avec détachement au coulage de sa maison, satisfaite pourvu que, chaque mois, l’argent rentrât. Son mari, et ce qu’il pouvait faire ou penser ? Cela n’existait pas plus pour elle que l’être secret de sa fille. En dépit, ou à cause de son égoïsme souriant, elle n’en était pas moins, au dire général, la belle, la bonne Mme Lerbier. Même, grâce à son art de ne paraître vivre que pour les autres, et à l’adresse de sa tenue, la médisance l’épargnait.

Au revoir, ma cocotte, à demain ! dit Michelle en embrassant Monique. On se retrouve au théâtre ?… Au revoir, madame.

— Mes amitiés à votre mère.

— Soyez tranquille ! Elle aura le sourire quand elle saura qu’on est revenues ensemble. Elle vous gobe.