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la garçonne

mière. Il en a déjà d’autres sur la conscience ! Si vous ne me croyez pas, renseignez-vous chez Mme Lureau, 192, rue de Vaugirard. C’est la mère de la personne qu’il a séduite, et abandonnée, après qu’elle y a donné une petite fille… Aujourd’hui il a encore une maîtresse. Cléo, elle s’apèle. Il va la voir tous les jours. Elle ne sait rien et ils s’aiment bien. Je crois devoir vous avertir.

« Une femme qui vous plaint… »

D’un geste vif, elle déchira la dénonciation en menus morceaux.

— Au feu, c’est tout ce que ça vaut !

— Faut-il qu’il y ait de vilaines âmes ! murmura tante Sylvestre. Qu’est-ce que la méchanceté ne va pas inventer !

Cependant la précision du premier renseignement, — nom, adresse, — la préoccupait. Cela valait peut-être tout de même la peine d’être vérifié ?… Elle se promit de le faire, sans en inquiéter Monique à l’avance…

Mais, devinant, son projet, celle-ci se fâcha :

— Non ! non !… nous ne ferons pas à Lucien l’injure d’un tel soupçon ! Il m’a dit qu’il n’avait eu dans sa vie de jeune homme rien de sérieux… Le supposer un seul instant capable d’une action pareille, ce serait me diminuer moi-même !… Et quant à la nommée Cléo…

Elle sourit. Son père, après Lucien, ne lui avait-il pas affirmé que c’était de l’histoire ancienne ? Un caprice fini, avant que leur amour commençât…

Le dîner fut des plus gais. Aux plaisanteries de la tante, Monique faisait chorus avec tant d’outrance que Mme Lerbier parfois la regardait, à la dérobée.