Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
la garçonne

me comptez déjà pour rien, monsieur ?… Et si je veux ma dot, moi ?

Il perçut, sous la moquerie du reproche, la soumission heureuse. Aussitôt, il s’épanouit. Cela irait tout seul !… Restait cette sacrée Cléo… Autre paire de manches ! Il cacha son inquiétude, à force de démonstrations tendres.

Monique, sans restriction, s’abandonnait au délice d’aimer et d’admirer. Lucien à ses yeux était toutes les beautés, et toutes les vertus. Elle le vêtait du prisme de ses rêves. Nature confiante, de prime-saut, et qui s’élançait au delà des communes mesures, quitte à se ressaisir, avec autant de violence dans le recul que dans le bond…

Tandis que M. Lerbier, feignant intérêt au bezigue, s’asseyait entre sa femme et tante Sylvestre, Monique et Lucien gagnaient comme de coutume le petit salon, où chaque soir ils s’isolaient.

Ils s’assirent côte à côte sur le grand canapé, — sanctuaire des bonnes heures, dans l’intimité des causeries… Fulgurantes minutes aussi des premiers baisers, où de toute l’âme, avant le don définitif, elle s’était offerte !…

Monique saisit les mains de Lucien, et jusqu’au fond des yeux le regarda :

— Mon dieu, j’ai une prière à vous faire.

— Accordé d’avance.

— Ne riez pas, c’est grave.

— Allez-y !

— De ne jamais, jamais me mentir !

Il flaira le danger et prit l’offensive :

— Toujours votre marotte ! Savez-vous qu’elle est désobligeante ?