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la garçonne

avec Ransom et Plombino dont les Voisin douze cylindres démarraient justement pour faire place, sous la marquise.

— Tu sais, dit Monique à Michelle, c’est bien à cause de toi que je suis venue !

Elle s’en voulait d’être là, après sa promesse à Lucien. Jamais elle n’y aurait manqué si elle n’avait craint, en s’obstinant, de peiner son père. Elle avait encore à l’oreille l’âpreté de son invective : « Fais-le pour moi ! Non ? Eh bien va te coucher, puisque tu es dénuée à ce point de l’esprit de famille !… » Pauvre père ! Est-ce que vraiment ses ennuis d’argent étaient si graves ?…

Michelle prit le bras de son amie :

— Laisse donc ! On s’amusera. D’abord, moi, je danse !

Elle fredonnait déjà, avec un balancement de tout le corps, les mesures du tango qui arrivaient par bouffées, à travers les portes de glaces tournantes. Monique donna, avant d’entrer, un coup d’œil hostile au flot des arrivants. Portières claquantes, ils paradaient à la descente des autos. Les hommes avec leurs hauts de forme en arrière, leurs cache-nez de soie ouverts sous leurs pelisses de fourrures… Les femmes drapées de chinchilla ou de vison, agitant leurs coiffures d’aigrettes ou leurs torsades étincelantes.

Elle allait prendre la file quand elle crut reconnaître l’auto de Lucien. Mais, au lieu de s’engager sous la marquise, la voiture tournait au coin de la rue, stoppait une vingtaine de mètres plus loin, à l’entrée particulière des salons.

— Va, fit-elle à Michelle. Je veux voir quelque chose.