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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/108

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grâce aux ressources que la ville met à son service et au marché qu’elle lui offre. C’est ainsi qu’aux abords de Gand le pays de Waës, lande sablonneuse, fut transformé en culture. Pour que ce maigre sol devînt un des terrains agricoles les plus riches de l’Europe, il fallut l’effort de générations, et l’aiguillon de la nécessité. La vie urbaine stimula en Flandre la vie rurale, qui devait subvenir à ses besoins.

On comprend quelle fut, dans ces conditions, l’importance capitale des commodités de transport. Ce pays industriel et urbain demanda la matière première de son travail, la laine, à l’Angleterre, mais ce fut surtout aux plaines limoneuses du Sud qu’il fut amené à demander sa subsistance. Les abords immédiats ne suffisaient pas pour ces multitudes. Heureusement des rivières, navigables jusque dans leur cours supérieur, offraient une voie facile vers les riches plaines du Midi des Flandres. Les pays de Tournai, de la Pévèle, de Lille, Béthune, Hazebrouck, Bergues, de l’Artois même devinrent les greniers naturels des centres industriels du Nord. La riche agriculture de ces régions s’est développée en rapport avec les débouchés qui lui étaient ouverts. Ce sont encore aujourd’hui les céréales qui dominent dans les plaines argileuses des Flandres ; elles l’emportent de beaucoup sur les prairies : et ce fait, que n’explique pas suffisamment la nature du sol, tient peut-être à d’anciennes habitudes fondées sur des rapports historiques. Tout foyer urbain exige une zone d'approvisionnement. La nature y avait pourvu en mettant en communication facile avec les pays du sable les pays nourriciers du limon.

Le Nord et le Sud des Flandres sont en multiple corrélation de besoins. Comme, vers le Sud, les couches anciennes se rapprochent de la surface, les matériaux de construction n’y manquent pas non plus : ce sont les grès des environs de Douai, les calcaires marmoréens de Tournai, les bancs de craie solide qui affleurent près de Lille. On a tant exploité les grès de Douai et du Quesnoi, que les carrières en sont aujourd’hui épuisées. Mais Tournai ne cesse de fournir au reste des Flandres, et même au Nord de la France, ses marbres bleuâtres, si renommés qu’on les retrouve employés, même dans la Picardie et l’Ile-de-France, comme décoration de tant de vieilles églises. Enfin, les croupes crayeuses fendillées qui limitent la Flandre au Sud recèlent dans leurs flancs des sources abondantes et vives, où puisent aujourd’hui les grandes agglomérations urbaines.

Le groupement original des Flandres repose sur ces rapports de solidarité réciproque, de commerce assidu. Une empreinte générale se marque dans les habitudes malgré les différences ethniques, s’exprime dans l’art et subsiste malgré les séparations politiques. D’unité proprement dite il ne saurait être question entre ces personnalités vigoureuses dont chacune s’incarne dans une ville avec ses monuments, ses fêtes, son histoire. Mais un air de civilisation commune enveloppe la contrée : civilisation urbaine municipale, qui fut avec celle de l’Italie et de quelques parties de l’Allemagne, un des fruits exquis de l’histoire de l’Europe.