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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/119

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d'âge jurassique, sont demeurées en saillie, et forment, près de Boulogne, le mont Lambert ou les falaises calcaires du Griz-Nez. Mais au Nord, vers Marquise, l’intensité du bombement a été poussée à tel point que ce sont les roches primaires elles-mêmes qui apparaissent : les mêmes schistes, les mêmes marbres qui depuis l’Ardenne semblaient définitivement enfouis dans les profondeurs. On a dans une échappée subite, sur la croupe nue et battue des vents qui domine les carrières de Marquise, la brusque et courte vision des landes, pâtis et ajoncs. Instructive et fugitive réminiscence ! Quelques pas de plus, et vers Landrethun on atteint de nouveau la crête du bourrelet crayeux ; de là une vue immense se découvre. C’est le pays plat qui descend et fuit vers Calais et qui, par delà les forêts assombrissant les abords de Guines, se perd au loin jusqu’à la bande grise de la mer du Nord. Le spectacle n’est pas sans grandeur. On se sent au seuil de deux grandes régions : là confinent, et s’oppose visiblement près d’un coin d’Ardenne un instant ressuscitée, les Pays-Bas et le Bassin de Paris.


IV LA CRAIE EN PICARDIE

Au Sud du Boulonnais, la craie prend décidément possession de la surface. Soit que du Boulonnais on entre dans les plaines picardes, soit que des pays subardennais de la Thiérache et du Porcien on débouche dans la Champagne, l’impression première qui vous saisit est une impression de vide. Sur ces croupes larges et molles où le relief n’est arrêté par aucune tranche plus résistante, la rareté des formes en saillie, des arbres, de l’eau, des maisons, supprime tout ce qui distrait et égaie l’œil. Ce relief et cet aspect sont engendrés par la craie.

Les mers chargées d’organismes, dont les menus débris, profondément modifiés, constituent la craie blanche, ont couvert, à la fin des temps secondaires, une étendue bien supérieure à celle qu’occupe aujourd’hui la craie dans le Bassin parisien. Mais, après tout ce qui a disparu par démantellement ou dissolution, il reste en Champagne et en Picardie de grandes surfaces dont elle constitue le sol. En Champagne, où elle est à nu, elle se manifeste par ce tuf blanc, particulièrement étudié aux environs de Sens[1], dont les grumeaux gluants rendent les chemins difficiles. En Picardie le limon la recouvre. Elle apparaît çà et là sur certains versants de vallées par des écorchures blanches où croissent quelques genévriers ; elle se devine dans les champs à des teintes pâles qui font tache dans le limon roux. Toutefois, pour apprécier sa puissante épaisseur, il faut profiter des coupes naturelles que fournissent, du Tréport au Havre, les falaises de la côte. C’est là qu’on la voit étager ses assises tranchées par la mer. Elles sont interrompues par des rangées parallèles de silex roux ou noirs. La silice contenue dans les

  1. D’où le nom de craie sénonienne.