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tion des villes. Après des bourgades gauloises vinrent des postes ou cités romaines, des monastères, des villas carolingiennes, des châteaux contre les Normands ; et de tout cela se forma cette ligne déplaces, tant de fois disputée, qui fut le front de résistance de la monarchie française, le rempart compact dans lequel il ne pouvait se produire une brèche sans que l’émoi gagnât tout le royaume. C’est grâce à la vie urbaine née le long des rivières que ce pays agricole et rural accentua sa personnalité. Il n’y a pas à proprement parler de villes sur les plateaux ; l’empreinte urbaine est au contraire marquée même sur les plus petites des villes baignées par les rivières picardes. Celles-ci fournirent à la vieille France des lignes stratégiques et politiques, comme le Havel et la Sprée au Brandebourg. Et c’était bien en effet une sorte de marche frontière que cette contrée située au seuil du germanisme.

L’ancien nom d’Amiens, Samarabriva, veut dire passage de la Somme. Ce n’est pas seulement parce que le coteau sur lequel se dressa depuis sa cathédrale offrait, au-dessus des marais où baignent encore les bas quartiers, un terrain solide : ce poste gaulois marquait sans doute le point extrême où la vallée restait franchissable, à une époque où les marées pénétraient plus profondément qu’aujourd’hui. Il existe à partir de Pecquigny, un peu au-dessous d’Amiens, une série de petites buttes dans lesquelles des coquilles marines s’associent à des formations fluviales ainsi qu’à des débris de poterie ; elles indiquent un niveau anciennement plus élevé de la mer. Elle a déposé, en effet, un cordon littoral dont la trace est visible au pied de la falaise de Crécy, ainsi que dans les molières ou marais de Cayeux. Le long des falaises du Pays de Caux on voit des affouillements à 6 ou 7 mètres au-dessus du niveau actuel des hautes marées. On comprend qu’à l’époque où le Pas de Calais était encore fermé ou incomplètement ouvert, des marées beaucoup plus élevées aient assailli nos côtes. Aujourd’hui le flot recule. La mer comble les baies et accumule les débris à l’entrée de la Somme. Du roc de craie où végète Saint-Valery, on voit un estuaire vaseux où se traînent quelques chenaux d’eau grise. Des montagnes de galets s’entassent au Hourdel ; l’ancien port de Rue est à l’intérieur des terres. La vie maritime s’éteint à l’embouchure de la Somme.


XI PICARDIE RÉGION POLITIQUE

Peut-être n’a-t-elle jamais été bien forte. La Picardie est moins ouverte à la mer que la Normandie ou la Flandre. Ses principales communications furent toujours avec l’intérieur. Encore même faut-il distinguer. A mesure que les sillons marécageux s’élargissent, les tranches qu’elles divisent parallèlement deviennent plus étrangères les unes aux autres. Le Ponthieu, comme pays, est séparé du Vimeu par la Somme. La Bresle sépare la Normandie de la Picardie, comme l’archevêché de Rouen de celui de Reims, comme jadis la deuxième Lugdunaise de la deuxième Belgique. Le nom de