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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/197

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le Loir, l’Avre et la Blaise, que les villes ont trouvé des sites propices. Le pays se particularise alors ; au nom générique et rural de Beauce se substituent ou se superposent ceux de Dunois, Chartrain, Drouais. La cathédrale dont les deux tours, visibles à 30 kilomètres à la ronde, rognent sur cette antique terre de moissons, marque l’endroit où ce pays sans villes alla jadis chercher sa capitale. Depuis plus de deux mille ans un caractère sacré s’attache à ce point. Il n’y avait encore à la place où Paris et Orléans devaient grandir qu’une bourgade de pêcheurs ou un rendez-vous de marchands, quand quelque chose de semblable à un peuple se groupait autour du sanctuaire des Carnutes. Cette domination, fondée sur l’ampleur d’un territoire uni et fertile, réalisait au centre même des Gaules un type de formation politique. Entre la Seine et la Loire, c’était comme une vaste clairière agricole entre des forêts. De véritables marches, en terrains boisés ou marécageux, la séparaient des peuples voisins, Sénons ou Cénomans.


IV IMPORTANCE POLITIQUE

De tout temps ces plaines ont été disputées, car elles sont le vestibule des avenues intérieures de la France. Ce n’est pas seulement au XVe siècle et de nos jours que les destinées générales de notre pays s’y sont débattues. Ces plaines de Beauce font partie d’une série de plates-formes qui, jadis, quand les Normands établissaient leur domination sur nos côtes, était pour eux une tentation de s’avancer jusqu’au centre de la Loire. Une voie d’invasions naturelles semblait tracée par les plaines fertiles qui s’intercalent entre la Seine et les régions coupées et boisées du Perche. L’importance décisive des événements qui se passaient alors dans cette région et l’attention dont elle devint l’objet ne furent pas étrangères à l’origine d’une dénomination commune qui se forma pour la désigner. C’est en effet du IXe au XIIe siècle qu’on signale[1] chez les chroniqueurs l’application du nom de Neustrie, détourné de son ancien sens, au pays situé entre la Seine et la Loire ; et parfois aussi, l’introduction d’un nom géographique nouveau, celui de Hérupe ou Hurepoix, désignant la même région. Ce sont là des apparitions passagères sans doute, mais significatives, dans la nomenclature. Elles s’expliquent par le retentissement des événements historiques dont ces contrées étaient le théâtre.

Elles mettent aussi en lumière les rapports naturels qui unissent les plaines comprises entre le cours supérieur de l’Eure et l’embouchure de la Seine. De Chartres à Rouen la circulation est aisée ; la voie romaine qui reliait Rouen et Lillebonne à la vieille cité des Carnutes, indique des relations anciennes. Elles étaient sans doute plus fréquentes, avant que Paris eût attiré à lui le réseau des routes[2]. Je verrais volontiers une marque de ces rapports étendus d’autrefois dans le zèle qu’excita, au XIIe siècle, chez les

  1. Longnon, ouvrage cité, p. 4-5.
  2. Les itinéraires romains ne mentionnent pas de voie directe entre Autricum (Chartres) et Lutetia (Paris).