Aller au contenu

Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loppement. Son activité, si considérable dans la Gaule ancienne, s’est ralentie peu à peu. Le livre est resté ouvert à l’un de ses premiers feuillets.


I. — LA LOIRE

AU FOND du Vivarais, dans une des contrées les plus étranges de la France et du monde, vaste plate-forme herbeuse toute hérissée de cônes et de pitons phonolithiques, dépassant 1 500 mètres, naît le premier ruisseau de la Loire. Du haut du cône bizarre qui lui donne naissance on verrait se dresser la cime provençale du mont Ventoux ; on n’est qu’à 120 kilomètres de la Méditerranée. L’hiver, ces pâturages de laves ou ces croupes arénacées de granit disparaissent sous d’épais tapis de neige. En automne et au printemps, de furieux combats s’y livrent entre les vents. Du Sud-Est viennent les grands orages d’automne qui produisent des crues terribles vers la vallée du Rhône, et dont les éclaboussures atteignent la Loire et l’Allier ; de l’Ouest, les vents humides qui, d’une bouffée subite, peuvent engendrer des pluies générales, de brusques fontes de neiges. C’est un laboratoire de phénomènes violents. Comme il n’y a guère plus de 45 kilomètres entre les sources de la Loire et de l’Allier, les deux rivières en ressentent presque simultanément les effets.

La Loire en dévale par des pentes très rapides[1]. Entre les gorges où successivement elle s’encaisse jusqu’à son entrée dans le Forez, elle se donne à peine, dans quelques petits bassins comme celui de Bar, l’espace nécessaire pour calmer son cours, amortir sa rumeur de torrent, étendre des grèves dans la concavité des méandres. Partout l’érosion s’est exercée avec d’autant plus de force que les gneiss et granits que traversent la Loire et l’Allier sont peu perméables, et qu’ainsi l’effort intact du ruissellement attaque tous les matériaux moins résistants qui s’offrent à lui. Les marnes de formation lacustre oligocène qui s’échelonnent le long de leur cours, surtout les débris des éruptions volcaniques qui jusqu’à la Limagne et jusqu’au Forez encombrent leurs vallées, voilà l’inépuisable masse de matériaux que tantôt lentement, tantôt par soubresauts, la Loire finit par entraîner jusqu’à la mer.

C’est séparément que les deux fleuves jumeaux, la Loire et l’Allier, l’un au débouché du Forez, l’autre à celui de la Limagne, entrent dans le Bassin parisien. Une longue mésopotamie, formée de sables et argiles siliceux, les tient encore longtemps séparés ; non sans laisser leurs vallées s’élargir en grandes prairies où paissent des bœufs blancs. Le paysage est modifié à Digoin, Decize, Saint-Pierre-le-Moutier : transition entre la physionomie de la région tourmentée dont ils sortent et celle de la région plus paisible où ils vont entrer. Toutefois le régime reste ce que l’ont fait les conditions d’origine. Les deux rivières, entre leurs rideaux de saules, peupliers et oseraies, se réduisent parfois à des filets limpides. Mais dans ce même lit on

  1. En moyenne 4m,50 par kilomètre entre la source et Roanne.