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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/222

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romaines convergèrent vers le confluent du Cher et de la Loire. Il y avait là à l’origine une de ces bourgades telles que les Gaulois en établissaient volontiers dans des îles ou des péninsules fluviales : la fortune de Tours lui vint surtout de l’accès direct qui de ce point s’ouvre vers la vallée de la Vienne et Poitiers. Il suffit de franchir l’extrémité amincie des plateaux de la Champagne tourangelle et de Sainte-Maure pour atteindre, au confluent de la Vienne et de la Creuse, une des plus charmantes contrées de France. C’est le pays de Châtellerault, dont l’aspect verdoyant et les douces collines ménagent une transition aimables vers les raides et secs escarpements du Poitou calcaire. Les sables dits cénomaniens[1] y affleurent comme dans la région du Maine dont ils constituent le sol typique, et, dans ce cas comme dans l’autre, c’est par la largeur des vallées que se manifeste leur présence. La Vienne à Châtellerault s’est frayé dans ces couches friables une vallée dont les proportions en largeur ressemblent à celles que l’Huisne et la Sarthe se sont taillées dans les sables de même nature et de même âge.

Mais les voies qui ont adopté la vallée de la Vienne continuée par le Clain, ont une importance plus générale que celle à laquelle les rivières mancelles ont prêté leurs vallées. C’est une porte de peuples. Deux grandes régions d’influences souvent contraires, lentement réconciliées dans l’unité française, entrent ici en contact : l’Aquitaine, vestibule du monde ibérique, et la France du Nord façonnée par son contact permanent avec le germanisme. Une traînée de noms historiques s’échelonne entre Poitiers et Tours : noms au loin populaires de batailles ou de sanctuaires, comme celui de Sainte-Catherine-de-Fierbois, où Jeanne d’Arc fit chercher l’épée de Charles-Martel. Le vocabulaire géographique de notre peuple d’autrefois était restreint; il se composait des noms que répétaient les marchands et les pèlerins ; mais d’autant plus s’incrustaient dans la mémoire les localités en petit nombre qu’il savait retenir. C’étaient les points brillants dans l’obscurité qui enveloppait le monde extérieur. La légende travaillait sur cette géographie populaire. Elle matérialisait ses souvenirs dans un objet, un édifice ; et partout où pénétraient les routes, pénétrait aussi le renom du lieu consacré. La prodigieuse popularité de la Légende de saint Martin s’explique par le nombre et la fréquentation des voies qui convergeaient vers Tours. Il n’est pas étonnant que, dans cet état d’esprit, de nombreux pèlerins s’acheminassent des points les plus éloignés pour participer aux bienfaits de la sainteté du lieu. Telle fut longtemps la cause du renom de Tours et de la basilique de Saint-Martin, lieu entre tous auguste, dont la sainteté se communiquait aux pactes jurés à son autel. C’était donc une possession enviable que celle du vénéré sanctuaire. Celui qui se rendait maître de Tours et des lieux fameux dont s’entretenaient les imaginations populaires se mettait par là hors de pair. A Tours, comme à Reims, comme au Mont-Saint-Michel, où Philippe-Auguste

  1. Formation déposée au début des temps crétacés.