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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/231

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limoneux d’en haut et les fonds verdoyants d’en bas. Sur ces pentes raides les charrois sont difficiles, presque impossibles ; il faut remonter jusqu’à la naissance de la vallée. C’est pour cela que les routes cherchent à se maintenir autant que possible sur le dos du plateau en évitant les échancrures de la périphérie. Il n’y a sur les versants ni niveau de source, ni inflexion de relief pouvant faciliter à mi-côte l’établissement de villages. C’est donc presque l’isolement entre vallées et plateaux. En bas l’industrie, ou, aux bords de la mer, quelque établissement de vie maritime. En haut les villæ ou villes, c’est-à-dire les établissements ruraux autour desquels s’est perpétuée la vie agricole. Si l’on pousse dans le passé l’analyse de ces contrastes, on reconnaît dans les découpures des vallées et dans les interstices du rivage les voies par lesquelles se sont introduits les éléments étrangers, rénovateurs, auxquels la Normandie doit son nom. Mais l’on se rend compte aussi d’une des causes qui ont mis obstacle à une complète transformation ethnique de la contrée. L’existence d’un plateau compact, dans lequel s’était enracinée une population profondément agricole, assez dense pour porter et maintenir un nom de peuple, a certainement contribué à la conservation du passé.


V VALLÉE ET BAIE DE LA SEINE

Mais, immédiatement au pied du plateau crayeux, la Seine a entaillé sa vallée. Elle a multiplié ses méandres ; et peu à peu, entre ses bords écartés, fuyant en lignes sombres, s’introduit un large estuaire maritime.

La Seine commence, presque au sortir du cirque parisien, à prendre sa physionomie normande. Peu après Meulan, les blanches roches de la craie commencent à affleurer au soubassement des coteaux. Au delà de Mantes, le paysage a déjà changé. Les collines à zones de végétation étagée qui caractérisent la topographie parisienne ont fait place à de véritables doWns, croupes à demi pelées ou tapissées de maigre gazon, roches de composition homogène que l’érosion a modelées en hémicycles de régularité quasi géométrique. La vallée qu’ils encadrent est plus profondément burinée dans la masse. A Vernon, ces coteaux de craie, éventrés de carrières, couronnés de bois, prennent une certaine ampleur. Des flancs de la roche, percés jadis de demeures troglodytiques, sortent les matériaux de construction depuis longtemps utilisés par l’homme. La Seine, qui vient d’effleurer d'une de ces courbes sinueuses la base de La Roche-Guyon, va, dans un nouveau grand cirque, baigner les ruines de Château-Gaillard. Cependant elle n’est encore qu’à demi engagée dans la puissante assise qu’elle doit traverser : aux arides croupes de la rive droite s’oppose, sur l’autre rive, vers Gaillon, un pays de coteaux, mamelonné et verdoyant. Ce n’est que lorsque l’Eure, après avoir longé parallèlement cette longue croupe, débouche dans la plaine d’alluvions qui la réunit à la Seine, que désormais se reconstituent sur les deux bords de la vallée les traits caractéristiques du paysage crayeux. Fièrement découpé à pans géométriques, un coteau, dont la silhouette reste obstinément gravée