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fié de vallées ; mais il n’est pas non plus un simple compartiment découpé de failles, comme le Harz ou la Foret de Thuringe. Des vallées profondes, des plis étroits sans continuité absolue, mais en succession marquée, quelques longs couloirs comme ceux qui entaillent les grès permiens de Saint-Dié à Schirmeck ou à Villé, articulent l’intérieur et tracent les cadres d’une vie vosgienne originale. Aujourd’hui les influences extérieures l’assaillent de deux côtés ; l’usine s’introduit par les vallées qui remontent de Lorraine et d’Alsace ; mais au-dessus de 400 mètres vit encore une région plus purement vosgienne, dont la nomenclature est presque une description[1], et indique les formes de relief, d’hydrographie ou de végétation remarquées ou utilisées par l’homme.

III Climat

Dans le vert des prés, dans l’étendue des faings, assemblages de tourbières et d’étangs qui s’étalent sur les plateaux rocheux, dans le nombre des lacs qui dorment au fond des vallées ou qui garnissent les alentours des cimes, se montre l’empreinte du climat humide qui a contribué à modeler les Vosges. Souvent une brume obstinée voile les cimes. En hiver et en automne, des rafales du Sud-Ouest, n’ayant rencontré sur leur route aucune chaîne de la taille des Vosges, s’abattent avec leur fardeau de vapeurs sur les versants occidentaux, font rage sur les promontoires, tels que le Ballon de Servance, qu’elles frappent de plein fouet. Une immense faigne, d’aspect tout Scandinave, s’étend aux sources de l’Oignon. Les rivières, sur le flanc occidental, s’enfoncent très loin vers l’intérieur du massif ; elles se nourrissent de réservoirs spongieux qui criblent la surface. Les masses énormes de débris quartzeux répandues par les courants diluviens autour des Vosges, mais notamment en Lorraine, sont des phénomènes pleinement en rapport avec cette direction des courants pluvieux. Ils nous enseignent que si c’est à l’Est que les forces mécaniques internes ont produit les principaux accidents, c’est par l’Ouest que s’est exercée surtout la force destructive du climat : les traces laissées par les anciens glaciers jusqu’au delà de Gérardmer attestent quelle fut, de ce côté, leur longueur.

Sur le Hohneck, des entassements de blocs granitiques arrondis montrent l'effet de ces destructions. Mais ce n’est pas seulement sur les roches que le climat a mis son empreinte. Au-dessus d’un niveau bien inférieur à celui qu’atteignent les arbres dans le Jura ou dans les Alpes, la végétation silvestre est mal à l’aise. Dès que les cimes dépassent environ 1200 mètres, la forêt, si robuste dans les parties inférieures, végète, se change en taillis buissonneux de hêtres tordus marquant l’extrême résistance des arbres. Au-dessus de 1300 mètres les arbres n’existent plus. On s’est étonné de cette limite

  1. Basses, Creux, Collines, Faings, Voivres, Rupts, Feys, Chaumes, ou First, etc. Firsf, synonyme allemand de Chaume, se change, par un quiproquo fréquent d’une langue à l’autre en fêtes, et même en fée (Hautes-Fêtes, Haut des Fées, Gazon de Fête).