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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/259

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relativement basse : pourtant l'humidité spongieuse entretenue sur la surface peu perméable de roches, et au-dessus des plantes basses auxquelles la neige prête un abri, le déchaînement des vents, ne laissent à la végétation que la ressource de se faire rampante et humble ; buissons ou gazons remplacent les arbres. A la forêt succède la chaume. C’est sous ce nom qu’apparaît, dans les Vosges, cette forme de végétation des hauteurs. A la différence des faignes, qui se trouvent à tous les étages, elle n’appartient qu’aux parties les plus élevées. Mais comme dans l’Ardenne, le Harz, c’est le même climat humide et venteux, qui substitue une nature tantôt herbeuse, tantôt marécageuse à la nature forestière.

IV Vie des Vosges

Les chaumes ne sont pas dues à un recul de la forêt ; peut-être ont-elles été élargies par l’usage séculaire des pratiques pastorales, mais elles ont toujours couvert une assez grande étendue dans les Vosges. On ne pourrait guère expliquer autrement la longue persistance de la faune originale de grands animaux dont parlent les témoignages historiques. Il y avait dans les Vosges, encore vers l’an 1000, des bisons, des aurochs, des élans, hôtes des grandes forêts hercyniennes, et qui ont disparu ou se réduisent à quelques individus, confinés en Lithuanie ou sur les bords de la Baltique, gibier magnifique qui fit des Vosges un domaine de chasse cher aux Carolingiens. Une race de chevaux sauvages persistait encore au XVIe siècle. Plusieurs traits, dans cette faune, indiquent une nature de steppe. Elle se développa à la faveur du climat sec, dont l’apparition paraît bien prouvée aujourd’hui dans les intervalles glaciaires. C’est dans le lœss des coteaux sous-vosgiens d’Alsace qu’ont été trouvés en abondance les ossements de chevaux sauvages, grands cerfs, rennes, chamois, marmottes, etc.[1]. Plus tard, les Chaumes, les éclaircies entre les forêts offrirent un refuge et des moyens de subsistance qui permirent à quelques espèces de se maintenir longtemps.

Dans le développement de la vie, comme dans la structure, les Vosges offrent l’intérêt d’un fragment de monde ancien, curieusement situé entre des contrées que des courants de circulation sillonnent et renouvellent. Peu à peu l’ensemble des formes animées qui s’y était concentré disparaît, cède à l’intrusion de formes nouvelles. La flore de physionomie boréale, héritage des époques glaciaires, restreint de plus en plus son domaine, limité désormais aux parties les plus hautes ou les moins accessibles. Tel a été aussi le sort de ces animaux, également legs du passé, que leur taille et leurs exigences de nourriture livrèrent à une destruction plus ou moins rapide. Les Vosges se modernisent dans leur population d’êtres vivants, comme dans leur aspect. Les populations humaines qui les ont primitivement habitées, et qui nous

  1. Trouvaille faite en 1887 à Vöklinshofen, près de Colmar. (Voir Döderlein, Die diluviale Thierwelt von Vöklinshofen, Mitteilungen der Philomathischen Gesellschaft in ElsassLothringen, t. V, p. 86-92).