Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/30

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réalités, c’était pour eux la manière de se nourrir, de se loger, de gagner sa vie. Suivant que le sol est calcaire ou argileux, pauvre ou riche en substances fertilisantes, suivant que l’eau se ramasse en sources, ou court en mille filets à la surface, l’effort de l’homme doit se concerter autrement. Ici il se livrera aux cultures de céréales ; là il combinera avec une agriculture plus maigre un peu d’élevage, ou un peu d’industrie ; ailleurs il saura pratiquer l’art de diriger et de rassembler ces eaux diffuses qui semblaient vouloir échapper à son action. Tout cela s’exprimera pour lui dans un nom : celui d’un « pays » qui souvent, sans être consacré par une acception officielle, se maintiendra, se transmettra à travers les générations par les paysans, géologues à leur manière. Le Morvan, l'Auxois, la Puisaye, la Brie, la Beauce et bien d’autres correspondent à des différences de sol.

Ces pays sont situés, les uns par rapport aux autres, de façon à pouvoir recourir aux offices d’un mutuel voisinage. Le bon pays est tout au plus à quelques jours de marche du pays plus déshérité, dont l’habitant a besoin d’un supplément de gains et de subsistances. Celui-ci peut trouver à sa portée les ressources qu’en d’autres contrées il faudrait aller chercher bien loin, avec moins de certitude, avec plus de risques. La France est une terre qui semble faite pour absorber en grande partie sa propre émigration. Une multitude d’impulsions locales, nées de différences juxtaposées de sol, y ont agi de façon à mettre les hommes à même de se fréquenter et de se connaître, dans un horizon toutefois restreint.

Plus on analyse le sol, plus on acquiert le sentiment de ce qu’a pu être en France la vie locale. Aussi des courants locaux, facilement reconnaissables encore aujourd’hui, se sont formés spontanément à la faveur de la variété des terrains. Leurs buts sont rarement éloignés : marchés, foires ou fêtes dans le voisinage, tournées périodiques aux époques de morte-saison, enrôlements au temps des moissons. Mais ces dates attendues et espérées prennent place dans les préoccupations ordinaires de la vie. Les différences qui sont mises par là en rapport ne sont pas de celles qui ouvrent des horizons lointains; ce sont des contrastes simples et familiers, qui s’expriment par dictons, proverbes ou quolibets. Malgré tout il en résulte une ventilation salubre. On est moins étranger l’un à l’autre. Il se forme un ensemble d’habitudes dont s’est visiblement imprégnée la psychologie du paysan de France.


VI PASSAGE DE CIRCULATION GÉNÉRALE

Des courants généraux se sont fait jour à travers la foule des courants locaux. Car la vie générale a trouvé aussi des facilités dans la structure de la contrée. Elle s’est frayé des voies à la faveur des seuils qui séparent les massifs, et des dépressions qui longent les zones de plissement. La vallée du Rhône, sur le bord extérieur des Alpes, le couloir du haut Languedoc sur le front septentrional des Pyrénées, rentrent dans cette seconde catégorie. A la première appartiennent les seuils qui, entre les Vosges