Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/68

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de lumineux qu’on ne reverra plus. Toujours à la faveur d’une pareille orientation, le châtaignier et même l’amandier s’avancent jusque dans les plis des vallées d’Alsace. Les flancs orientaux des côtes lorraines s’évasent en cirques, dans lesquels la lumière et la chaleur réfléchies font mûrir des vignes. Ils abritent près de Metz de véritables vergers. Et jusqu’au pied de l’Ardenne, qui les protège du vent du Nord, se prolongent les belles cultures amies du soleil : vignes, fruitiers, noyers, associés à une végétation qui, par la multiplicité et l’élégance des formes annonce déjà, ou rappelle encore le Midi.

Les géographes-botanistes remarquent que parmi les principaux agents qui influent sur la végétation, eau, chaleur et sol, c’est dans les climats de transition que le sol gagne surtout de l’importance : l’observation s’applique bien à la France du Nord. Celui qui la traverse dans le sens des latitudes, soit par exemple de Metz à Reims, ou de Nancy à Paris, voit bientôt, dans le Porcien, l’Argonne, le Perthois, le Vallage, succéder une autre nature à celle des plateaux et des côtes calcaires. La vigne s’éclipse momentanément. Le foisonnement des arbres, tantôt massés en forêts, tantôt épars dans les haies, les enclos et les champs, l’association du genêt, du bouleau et de la bruyère dans les parties incultes, les étangs et noues dont des sentiers toujours gluants dénoncent les approches : tout semblerait indiquer un autre climat. Il n’en est rien cependant ; ce changement résulte uniquement de l’apparition d’une étroite, mais longue bande d’argiles qui va des bords de l’Oise à ceux de la Loire, de la Thiérache à la Puisaye, et où il est aisé de reconnaître encore une des plus grandes lignes forestières de la France d’autrefois.

On sait que dans la France du Nord les différentes couches de terrain présentent une disposition concentrique autour de l’Ile-de-France. Quand on vient de l’Est vers Paris la nature du sol change ainsi presque à chaque pas. Cette disposition favorise ces évocations alternantes de Nord et de Sud. L’œil perd et retrouve tour à tour les caractères qu’il est habitué à associer à ces deux mots. Ces alternances ne prendront fin qu’à mesure que le rapprochement de la Manche et de la mer du Nord se fera sentir davantage. Alors l’état plus fréquemment nébuleux du ciel, l’accroissement des jours de pluie, une notable diminution des températures d’été, jointes à l’arrivée plus précoce des pluies d’automne, exercent à leur tour un effet sensible sur la physionomie de la nature. La vigne, prématurément surprise par l’humidité de septembre, nous quitte définitivement à l’Ouest de Paris, et le pommier la remplace. Le hêtre qui, dans l’Est, hantait surtout les collines et les montagnes, se rapproche des plaines. Quelque peu chétif encore à Fontainebleau, plus vigoureux à Saint-Gobain, il devient l’arbre dominant sur les flancs des vallées normandes. Il y prospère comme au bord des golfes ou fœhrden danois, dans l’atmosphère nuageuse où Ruysdael se plaît à faire éclater la blancheur de son tronc. Mais la Picardie et une partie de la Normandie sont constituées par des plateaux limoneux reposant sur un sous-sol perméable qui en draine énergiquement la surface. Le sol atténue en quelque sorte par sa