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Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/99

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émergé du Brabant. Enfin, après avoir été définitivement évacué par la mer, il a pris la forme d’un long couloir dyssymétrique où les eaux ont tantôt érodé, tantôt mis à nu le charbon de terre. L’industrie moderne y fait flamber ses usines ; les routes de la Seine au Rhin en suivent le talus septentrional, comme jadis les voies romaines unissant la deuxième Belgique à la Germanie inférieure, Bavay à Cologne. C'est donc aussi une ligne directrice des courants humains. Dès qu’on l’a franchie au Nord, les couches primaires, tout en restant voisines de la surface, plongent sous la nappe d’épais limon où règne depuis plus de deux mille ans une riche agriculture.


IV LA VIE ARDENNAISE

Le contraste s’accuse ainsi de plus en plus avec les pauvres et maigres contrées de l’Ardenne proprement dite. Nous en avons décrit la partie méridionale, qui est française : mais ce n’est que la moindre fraction d’une contrée qui s’étend vers le Nord-Est jusqu’à Spa, Maldémy, Montjoie et les abords d’Aix-la-Chapelle ; cette contrée s’élève à 695 mètres dans les Hautes-Fagnes de Botranche, et enfin, par le Schnee-Eifel (700 mètres), se lie au Massif schisteux rhénan. Sur toute cette surface de 13 500 kilomètres carrés environ c’est le même sol pauvre, infertile, le même climat rude, la même difficulté de communication. Sur ces flancs froids et boisés montent en brouillards, en neige et en pluies les vapeurs charriées par les vents d’Ouest ; sur ces plateaux sans pente l’humidité décompose le schiste en une pâte imperméable dont l’imbibition produit des tourbières ; il faut la souplesse et l’intelligence des petites vaches ardennaises pour opérer les charrois dans ces sentiers fangeux. Si pauvre pourtant que soit ce pays, une vie très ancienne s’y est implantée ; et justement à cause de sa pauvreté, cette adaptation de la vie aux conditions locales s’est maintenue presque intacte. On y voit une race d’hommes généralement petite et brune mais résistante, comme le sont les bestiaux et les chevaux de chétive apparence qui vont, la nuit, chercher librement leur nourriture dans les taillis. Ces taillis, de temps en temps livrés aux flammes, fournissent par leurs cendres un amendement temporaire dont on profite pour une ou deux récoltes de seigle. Autour des champs sur lesquels se concentre la culture, s’étendent de vastes espaces de landes, propriété commune où le berger du village mène paître « la herde ». Des générations d’hommes ont vécu dans ces petites maisons en moellon, couvertes de schistes, souvent isolées ; ils y ont pratiqué, pendant les loisirs d’une culture fort intermittente, les industries variées du fer. C’est par des défrichements souvent temporaires, sarts ou essarts, qu’ils sont parvenus à étendre peu à peu, assez faiblement en somme, le domaine des cultures sur celui des landes, des forêts et des bruyères. Les abbayes, nombreuses dans l’Ardenne[1], ont été la seule force directrice capable d’imprimer quelque impulsion de vie générale.

  1. Hastières, Saint-Hubert, Stavelot, Malmédy.