Page:Vidocq - Mémoires - Tome 3.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous étions servis. « Tu vois, me dit-il, le daron sait l’ordonnance, le pivois (le vin), le rôti et la salade. Je demandai s’il n’était pas possible d’avoir de la matelotte.

— » De l’anguille, s’écria Manon, on t’en f…ra ; du cabot avec des pleurants (du chien de mer et des oignons), c’est assez bon. » Je n’insistai pas, et nous nous mîmes tous trois à dévorer avec autant d’appétit que si nous n’eussions pas connu les secrets du papa Guillotin.

Pendant ce repas, un bruit qui se fit entendre du côté de la porte attira notre attention. C’étaient des vainqueurs qui faisaient leur entrée triomphale : mâles et femelles, ils étaient au nombre de six, formant trois couples d’individus qui n’avaient plus figure humaine ; tous avaient ou des égratignures au visage ou les yeux au beurre noir : au désordre sanglant de leur toilette, à la fraîcheur de leur débraillement, il était aisé d’apercevoir qu’ils étaient les héros d’une batterie, dans laquelle de part et d’autre. on s’était administré force coups de poings. Ils s’avancèrent vers notre table :

— « L’un des héros. Pardon le z’amis ; y a-t’y place pour nous z’ici ?

— » Moi. Nous serons un peu gênés, mais c’est égal, en se serrant…