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Page:Vie de Lazarille de Tormès, 1886.djvu/131

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DE TORMÈS

Je m’assis au bord du siège, et, de peur qu’il ne me réputât goulu, je lui tus la collation que j’avais faite, et me mis à souper et à mordre mes tripes et mon pain, tandis qu’à la dérobée je regardais l’infortuné qui ne pouvait détacher ses yeux de mes basques dont je m’étais fait une assiette. Dieu veuille avoir pour moi autant de compassion que j’en ressentis alors pour mon maître, car j’avais éprouvé ce qu’il éprouvait, et bien des fois l’avais enduré et l’endurais encore. Je me demandai si je lui ferai la politesse de le convier à manger, mais comme il m’avait dit avoir dîné, je craignais qu’il n’acceptât pas l’invitation. Toutefois, je désirais que le pécheur remédiât à sa misère à l’aide de la mienne et déjeunât comme il avait fait la veille, d’autant que j’avais plus ample provision, que mes vivres étaient meilleurs et ma faim moindre. Or, Dieu voulut contenter