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LAZARILLE

terminée, me prenait le plat et le déposait sur l’autel. De sorte que tout le temps que je vécus, ou, pour mieux dire, mourus avec lui, je ne fus pas maître de lui attraper une blanque.

De la taverne jamais je ne lui apportai pour une blanque de vin, mais ce peu d’argent de l’offrande qu’il mettait dans son grand coffre, il le ménageait de telle manière qu’il en avait pour toute la semaine. Et pour dissimuler sa grande mesquinerie, il me disait : « Vois-tu, garçon, les prêtres doivent être très sobres dans leur manger et leur boire, et c’est pourquoi je ne me dérègle pas comme d’autres. » Mais le misérable mentait faussement, car aux confréries et enterrements auxquels nous assistions, il mangeait aux dépens d’autrui comme un loup, et buvait plus qu’un conjureur. Enterrements, ai-je dit, Dieu me le pardonne ! car jamais, sauf alors, je ne fus ennemi de la nature humaine, et c’était parce que nous y mangions, et qu’on m’y rassasiait. Je souhaitais et même priais Dieu que chaque jour tuât son homme. Et lorsque nous donnions le sacrement aux malades, spécialement l’extrême-onction, au moment où le prêtre