Page:Vignon - Un drame en province - La Statue d Apollon.djvu/223

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Jamais la comtesse n’avait éprouvé cette étrange émotion. Elle baissait les yeux tandis que son mari lui montrait les échappées de vue de la promenade sur la mer, et la lune, éclatante dans son disque d’argent, qui dominait les côtes de Lerici. Elle baissait les yeux et ne répondait pas, de peur, en regardant autour d’elle, d’y revoir cet inconnu, et, en parlant, de trahir son agitation par le tremblement de sa voix.

D’ailleurs, que lui importaient maintenant ces spectacles extérieurs dont la magie l’enivrait quelques instants auparavant ? Mme de Morelay regardait au fond de son cœur un spectacle bien plus nouveau : le spectacle de la raison aux prises avec je ne sais quoi d’inconnu et de violent qu’elle ne peut ni comprendre ni dompter.

« Eh quoi ! se disait la comtesse en serrant instinctivement le bras de son mari, et en pressant le pas comme sous la menace d’un danger, eh quoi ! faut-il donc croire au pouvoir de la jettatura ou bien à ces amours soudains comme les dépeignaient les romans que lisaient nos mères ?… »

Elle éprouvait à la fois le besoin de fuir et celui de rester ; elle se disait avec soulagement que le surlendemain son voiturin l’entraînerait loin de la Spezzia ; et, si un revirement soudain dans l’itinéraire du comte l’avait obligée de monter sur l’heure dans ce