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ALFRED DE VIGNY

dant ce qui reste dans mon âme de tout cela et de ton départ surtout est plus que de la tristesse, c’est du malheur, c’est du découragement mortel. Je sens en moi une honte secrète pour la première fois de ma vie. Les mots que je me suis fait effort pour prononcer hier m’ont outragé, plus que je ne puis le dire, je me coupais moi-même au tranchant de mon arme et en me vengeant je me blessais… Il est affreux pour moi que cela soit arrivé et c’est pour moi seul que cela est douloureux !

A MARIE DORVAL

Jeudi 4 juillet [1833].

(En rentrant de chez toi, à une heure.)

Je rentre le cœur navré mille fois plus que tous ces derniers jours. Que tu m’inquiètes, que tu m’affliges, ô ma chère ange ! Ma pauvre chère belle, que tu me désoles ! Mais quoi ? Tu penses à me faire écrire par Louise quelquefois ? Songe que si tu veux me faire mourir de chagrin, tu n’as pas d’autre chemin… Non, non, non, il me faut ton écriture, il me faut la trace de ton bras sur le papier, et tous les jours de ma vie, tous les jours ton écriture, et elle seule, et point d’autre qui s’en mêle !

Ah ! quelle cruauté que de m’accuser, moi, moi ! de ne t’avoir pas assez servie dans ton théâtre ! Tu sais ma vie, le pouvais-je ? Tu vas voir à présent si tu me donnes confiance en toi, ce que je ferai alors pour toi aussi…

Je t’en supplie, ma belle Marie, au lieu de m’effrayer et de me menacer comme tout à l’heure, ne fais plus autre chose que de me rassurer sur l’avenir, afin que je puisse penser et écrire pour toi.

Vendredi matin. — Je tombais de fatigue hier et je me suis endormi pesamment. Je me suis étonné de trou-