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Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/125

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JOURNAL D’UN POÈTE

— Oui, c’est un service, et il en sera vivement touché ; mais avec vous on sait que de tels services sont sans prix, et il ne vous en offre d’autre que son amitié. — Prenez garde, ai-je ajouté, que rien n’est ferme et persévérant comme mon caractère ; ne vous fiez pas à ma douceur de voix. Rien n’est entêté comme une colombe. J’en ai connu une qu’il aurait fallu tuer pour la chasser de mon lit ; je l’y ai laissée, elle a gagné son procès. Tout ce qui me fera ici passer par-dessus la lassitude de parler de choses sur lesquelles je suis blasé, ce sera le plaisir de penser un jour, dans ma vieillesse (si j’ai une vieillesse, chose douteuse), qu’un jeune roi me devra quelques idées justes sur la France et sur son esprit. — Donc, tout étant bien pur, bien désintéressé, regardant cette correspondance comme l’élan de deux âmes qui oublient qu’elles sont dans le corps d’un prince royal et d’un poëte, je vous le répète, j’accepterai.

Autre question :

— Est-ce de vous qu’est venue cette idée de mettre votre jeune prince en correspondance avec moi ?

— Non ; lui-même y a pensé le premier après avoir lu vos ouvrages, ainsi que le roi son père.

— Avait-il pensé à écrire à quelque autre avant ou en même temps ?

— À personne.

— Je consens à répondre, mais répondre seulement ;