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JOURNAL D’UN POÈTE

d’Éloa, la vierge idéale qui se laisse tomber du ciel dans les bras de Lucifer avec ce cri sublime : Seras-tu plus heureux ? « Poëme le plus beau, le plus parfait peut-être de la langue française, » ne craint pas de dire le critique que nous avons déjà cité ; et il faut avouer qu’aucun poëme ne renferme, sous le vêtement diaphane des chastes vers, un plus bel idéal d’amour et de pitié.

» D’ailleurs, dans toutes les compositions d’Alfred de Vigny, roman, poésie ou drame, prose ou vers, la conception toujours élevée domine le reste. Il avait la recherche du rare et de l’exquis, mais surtout dans l’idée ; son effort d’artiste vers la perfection consistait moins dans le travail du style, toujours soigné pourtant, que dans la spiritualisation de plus en plus exquise de la pensée et aussi dans l’art savant de la composition où aucun de ses rivaux ne l’a égalé. Dans l’exécution, surtout dans ses vers, on peut trouver parfois quelque effort, quelque incertitude, et nous avons, il se peut, des ouvriers plus habiles que lui à ciseler une rime. Mais il a des coups d’aile sans pareils, des vers d’une ampleur superbe, et, quand il s’élève dans l’azur poétique, c’est à la façon de cet aigle blessé qui dans son vol, comme il l’a dit.

Monte aussi vite au ciel que l’éclair en descend.