Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
ALFRED DE VIGNY

tion ressemble à la révolte contre l’autorité. On devient impassible et dur.

Je pris ce parti contre moi-même et je dis : « J’irai jusqu’à la fin. » — Je marchai une fois d’Amiens à Paris par la pluie avec mon bataillon, crachant le sang sur toute la route et demandant du lait à toutes les chaumières, mais ne disant rien de ce que je souffrais. Je me laissais dévorer par le vautour intérieur.


Les drames et les romans médiocres tendent à présent à faire de l’intérêt et des rencontres surprenantes en inventant des rapports accumulés, inimaginables : ainsi, si un ouvrier rencontre à un bal champêtre une grande dame, il se trouvera qu’il est justement chargé de faire son bracelet et de le lui porter, et qu’il est aussi le fils de son mari, et qu’il est aussi l’assassin d’un sot qui va faire de la rivalité avec lui dans son grenier.


Une actrice vraiment inspirée est charmante à voir à sa toilette avant d’entrer en scène. Elle parle avec une exagération ravissante de tout ; elle se monte la tête sur de petites choses, crie, gémit, rit, soupire, se fâche, caresse en une minute ; elle se dit malade, souffrante, guérie,