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JOURNAL D’UN POÈTE

Dans le roman, un homme parfait comme Grandisson ennuie toujours. Dans l’histoire, comme Washington, il parait froid, et, dans la vie, il est froidement aimé. Un homme parfait est aimé comme Dieu, assez froidement. C’est que les passions seules intéressent les hommes, toujours agités par des passions. Les pendules seules se meuvent par des principes ; les hommes font des principes et agissent contre ces principes mêmes.

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Les anciens étaient ’’naturels’’, ’’vrais’’ dans leurs manières, comme sont encore les Italiens et quelques peuples orientaux. J’ai été ému en relisant l’entrevue d’Alexandre et de Néarque, au retour de celui-ci après son admirable expédition maritime. Le premier événement dans l’histoire de la navigation est ce voyage du golfe Persique à l’Indus. — J’aime les pleurs d’Alexandre recevant Néarque et demeurant longtemps sans pouvoir parler, parce qu’il croit que ses Macédoniens et ses vaisseaux ont péri. — L’homme antique ne faisait jamais de fausse dignité ; il pleurait sans rougir de ses larmes, quelque grand qu’il fût.

Si j’ai le temps, je montrerai cette belle et vraie nature antique sur la scène.

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