Page:Vigny - Journal d’un poète, t1, 1935, éd. Baldensperger.djvu/62

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Ne savais-je pas encore
Quel esprit devait éclore
De cette éternelle aurore
Qui vit l’Éternel créant ?
Qu’avec toi l’âme ravie
Pour jamais est assouvie,
Que dans la Mort est la Vie,
Que la Vie est le Néant ?

Je le savais dès l’enfance,
Je le disais dans mes nuits ;
Et l’espoir de ta présence
Calme seul tous mes ennuis.
Cependant j’aimais la vie
Comme un marin ses dangers,
Comme l’Esquimau n’envie
Nul des soleils étrangers ;
Comme un Chartreux aime l’ombre,
Aime sa cellule sombre
Et, libre, y revient toujours ;
Comme un lévrier fidèle
Caresse la main cruelle
Qui le frappe tous les jours.

Aujourd’hui je sais tout, je te vois, et j’embrasse
L’avenir qui n’est pas, le passé qui n’est plus,
Les temps qui doivent naître et les temps révolus.

Je conçois l’espace,
L’univers s’efface