Page:Vigny - Le Trappiste, 1823.djvu/22

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tendre de la bouche même de plusieurs de ces bons pères, qui sont maintenant à Paris. Voici leur histoire entière et comment ils y sont venus.

Il arriva qu’en l’hiver de l’année 1796 une colonie de trapistes partit du monastère de la Val-Sainte, en Suisse, que notre révolution avait comblé de malheureux, et peut-être de pénitens. On les vit marcher deux à deux et en silence à travers des peuples révoltés et des armées, ne sachant pas bien où la Providence les arrêterait, et passant parmi les nations, comme Pierre l’Ermite et sa croisade, sans autre guide que la croix. « Partout on refusait le passage à nos fondateurs, m’écrivait un de ces religieux ; mais ayant recours à Dieu, partout il leur fut ouvert. En Savoie, comme ils se présentèrent à une ville où il y avait sentinelle, elle leur dit : Mes pères, quand vous seriez des anges du ciel, vous ne passerez pas. Et ils se trouvaient dans un grand embarras, quand il se montra tout à coup, et comme par miracle, un colonel qui avait été à la Trappe de Mortagne, et reçu par le même supérieur de la colonie, qui parlait pour tous et qu’il reconnut de suite. Il se jeta à son cou, et le conduisit chez lui avec les autres, leur fit mille amitiés, et leur donna le passage en les accompagnant lui-même.»

Lorsqu’on leur interdisait l’entrée d’une ville, il fallait passer la nuit exposés à un froid très-cruel. Alors, comme les cabanes étaient révolutionnaires et se fermaient à des moines, ils se retiraient dans quelque cimetière, demandant l’hospitalité et un abri sous leur tombe, à ces morts auxquels ils étaient aussi semblables par l’abandon et l’oubli du monde entier, que