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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/109

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Qui du Ciel embelli couronna les hauteurs
Quand Dieu la fit tomber de ses doigts créateurs.
Rien n’avait dans sa forme altéré la nature,
Et des monts réguliers l’immense architecture
S’élevait jusqu’aux Cieux par ses degrés égaux,
Sans que rien de leur chaîne eût brisé les anneaux.
La forêt, plus féconde, ombrageait, sous ses dômes,
Des plaines et des fleurs les gracieux royaumes,
Et des fleuves aux mers le cours était réglé
Dans un ordre parfait qui n’était pas troublé.
Jamais un voyageur n’aurait, sous le feuillage,
Rencontré, loin des flots, l’émail du coquillage[1],
Et la perle habitait son palais de cristal :
Chaque trésor restait dans l’élément natal,
Sans enfreindre jamais la céleste défense ;
Et la beauté du monde attestait son enfance[2] ;
Tout suivait sa loi douce et son premier penchant,
Tout était pur encor. Mais l’homme était méchant.



Les peuples déjà vieux, les races déjà mûres,
Avaient vu jusqu’au fond des sciences obscures ;


    commencer leur course radieuse, et le temps, jeune alors, comptait ses premiers jours par le soleil… C’était avant le règne de la douleur, avant que le péché eût étendu son voile sombre entre l’homme et les cieux. La terre était alors plus près du ciel que dans ces jours de crime et de désolation… — Directement ou non, le premier vers du poème parait dériver d’un vers de Lucrèce, De natura reruin, v. 940 : novitas tum florida mundi…

  1. Byron, Ciel et Terre, sc. 3 : La vague se brisera sur vos rochers, et les coquillages, les petits coquillages, les moindres créatures de l’océan, seront déposés là où maintenant habite la progéniture de l’aigle.
  2. Var : P2, A-C2 Monde