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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/120

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poèmes antiques et modernes

Des femmes, à grands cris insultant la nature,
Y réclamaient du sort leur humaine pâture ;
L’athée, épouvanté de voir Dieu triomphant.
Puisait un jour de vie aux veines d’un enfant ;
Des derniers réprouvés telle fut l’agonie.
L’amour survivait seul à la bonté bannie ;
Ceux qu’unissaient entre eux des serments mutuels,
Et que persécutait la haine des mortels.
S’offraient ensemble à l’onde avec un front tranquille[1],
Et contre leurs douleurs trouvaient un même asile[2].



Mais sur le mont Arar, encor loin du trépas.
Pour sauver ses enfants l’Ange ne venait pas ;
En vain le cherchaient-ils, les vents et les orages
N’apportaient sur leurs fronts que de sombres nuages.



Cependant sous les flots montés également
Tout avait par degrés disparu lentement :
Les cités n’étaient plus, rien ne vivait, et l’onde
Ne donnait qu’un aspect à la face du monde[3].

  1. Var : P2, A, B, d’eux-même C1, d’eux-mêmes (vers faux).
  2. Bernardin de Saint-Pierre, pass. cité (par opposition) : Au désordre des cieux, l’homme désespéra du salut de la terre. Ne pouvant trouver en lui-même la dernière consolation de la vertu, celle de périr sans être coupable, il chercha au moins à finir ses derniers moments dans le sein de l’amour et de l’amitié. Mais dans ce siècle criminel où tous les sentiments naturels étaient éteints, l’ami repoussa son ami, la mère son enfant, l’époux son épouse.
  3. Ovide, Métam., I, 291-292, et I, 6 :

    Jamque mare et tellus nullum discrimen habebant :
    Omnia pontus erat…
    Unus erat toto natura ; vultus in orbe.