Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
poèmes antiques et modernes

Ses genoux ont tremblé sous le poids de ses armes ;
Sa paupière s’entr’ouvre à ses premières larmes :
C’est que, parmi les voix, le père a reconnu
La voix la plus aimée à ce chant ingénu :

— « Ô vierges d’Israël ! ma couronne s’apprête
» La première à parer les cheveux de sa tête ;
» C’est mon père, et jamais un autre enfant que moi
» N’augmenta la famille heureuse sous sa loi[1]. »

Et ses bras à Jephté donnés avec tendresse,
Suspendant à son col leur pieuse caresse[2] :
« Mon père, embrassez-moi ! D’où naissent vos retards ?
» Je ne vois que vos pleurs et non pas vos regards.

» Je n’ai point oublié l’encens du sacrifice :
» J’offrais pour vous hier la naissante génisse.
» Qui peut vous affliger ? le Seigneur n’a-t-il pas
» Renversé les cités au seul bruit de vos pas ? »

— « C’est vous, hélas ! c’est vous, ma fille bien-aimée ? »
Dit le père en rouvrant sa paupière enflammée ;
» Faut-il que ce soit vous ! ô douleur des douleurs[3][4] !
» Que vos embrassements feront couler de pleurs !

» Seigneur, vous êtes bien le Dieu de la vengeance ;
» En échange du crime il vous faut l’innocence.

  1. Juges, XI, 34 : … sa fille, qui était unique, parce qu’il n’avait pas eu d’autres enfants qu’elle, vint au-devant de lui en dansant au sou des tambours.
  2. Var : P1, A-C2, cou
  3. D. Calmet, Commentaire littéral, Josué, les Juges et Ruth, 1720, p. 189 ! Fallait-il que vous vous présentassiez la première à ma rencontre ?
  4. Var : P1, A, ô douleurs