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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/199

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la prison

Ô bords de la Provence ! ô lointain horizon !
Sable jaune où des eaux murmure le doux son !
Ma prison s’est ouverte. Oh ! que la mer est grande[1] !
Est-il vrai qu’un vaisseau jusque là-bas se rende[2] ?
Dieu ! qu’on doit être heureux parmi les matelots !
due je voudrais nager dans la fraîcheur des flots[3] !
La terre vient, nos pieds à marcher se disposent[4],
Sur nos mâts arrêtés les voiles se reposent[5].
Ah ! j’ai fui les soldats ; en vain ils m’ont cherché ;
Je suis libre, je cours, le masque est arraché ;


    Soulevant un moment ma chaîne douloureuse,
    Rêver que je suis libre et que je suis heureuse.
    Ne respiré-je pas sous la voûte des cieux ?
    Un espace sans borne est ouvert à mes yeux.
    Vois-tu cet horizon qui se prolonge immense ?
    C’est là qu’est mon pays ; là l’Écosse commence.
    Ces nuages errants qui traversent le ciel,
    Peut-être hier ont vu mon palais paternel.
    Ils descendent du Nord, ils volent vers la France.
    Oh ! saluez le lieu de mon heureuse enfance…

    Vigny connaissait bien ce passage, dont les quatre derniers vers lui ont fourni le thème d’une page de Cinq Mars (ch. XXIII, L’absence, début).

  1. Var : P1, A-C2, ô que la mer
  2. Byron, Le Prisonnier de Chillon, XIII : Je les revis [les montagnes] ; elles étaient toujours les mêmes… J’aperçus dans le lointain les murailles blanches de la ville, et les voiles plus blanches encore qui dirigeaient le cours des bateaux voguant sur le lac… Alors de nouveaux pleurs coulèrent de mes yeux, je laissai retomber ma tête sur ma poitrine, et j’aurais voulu n’avoir jamais abandonné mes chaînes.
  3. Racine, Phèdre, scène de la folie (I, 3) :

    Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !
    Quand pourrai-je, au travers d’une noble poussière,
    Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière ?

    — Pierre Lebrun, Marie Stuart, III, 1 :

    … Entends-tu ces sons et ces lointaines voix
    Dont la chasse bruyante a rempli tous les bois ?
    Anna, les entends-tu ? Que ne puis-je sans guide
    M’élancer tout à coup sur un coursier rapide !
    Que ne suis-je emportée à travers les forêts !

  4. Var : M, P1, les pieds
  5. Var : M, P1, Les mâts baissent leurs bras, les voiles s’y reposent.