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poèmes antiques et modernes

Sous la robe de l’un il a les traits de l’autre :
Il est prêtre, et, pourtant, promptement irrité.
Il est soldat aussi, mais plein d’austérité ;
Son front est triste et pâle, et son œil intrépide :
Son bras frappe et bénit, son langage est rapide,
Il passe dans la foule et ne s’y mêle pas[1] ;
Un pain noir et grossier compose ses repas ;
Il parle, on obéit ; on tremble s’il commande.
Et nul sur son destin ne tente une demande[2].
Le Trappiste est son nom : ce terrible inconnu[3],
Sorti jadis du monde, au monde est revenu ;
Car, soulevant l’oubli dont ces couvents funèbres
À leurs moines muets imposent les ténèbres,
Il reparut au jour, dans une main la croix,
Dans l’autre, secouant, au nom des anciens Rois,
Ce fouet[4] dont Jésus-Christ, de son bras pacifique.
Du haut des longs degrés du Temple magnifique,
Renversa les vendeurs qui souillaient le saint mur,

  1. Var : O1, Il pense, et du tumulte aime à sauver ses pas ;
  2. Byron, Le Corsaire, ch. I, 2, 8, 9 (trad. Pichot) : Mais quel est ce chef ? Son nom est fameux et redouté partout ; ils n’en demandent pas davantage. Il ne se mêle avec eux que pour les commander ; ses paroles sont rares, mais son œil est perçant et sa main est prompte… Les soldats les plus durs de sa troupe trouveraient ses repas trop sévères : le pain le plus noir, les herbes les plus simples, quelquefois le luxe des fruits de l’été, composent tous ses mets… Tels sont ses brefs commandements, telle est sa promptitude : tous obéissent ; il en est peu qui demandent pourquoi… Conrad commande ! qui oserait hésiter ? Cet homme, qui s’entoure de la solitude et du mystère,… dirige et fait trembler le vulgaire… Son noir sourcil [protégeait] un œil de feu… Le soleil avait bruni ses joues ; son front large et pâle était ombragé par les boucles nombreuses de ses noirs cheveux.
  3. Var : O1-O3, P2, Le Trapiste
  4. « La Ruche d’Aquitaine donne les nouvelles suivantes : Une lettre de la Seo d’Urgel… annonce que les royalistes qui assiégeaient les forts… s’en sont emparés par escalade ; le trappiste monta le premier, tenant un crucifix d’un main, et un fouet de l’autre. » (Journal des Débats du 3 juillet 1822.)