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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/236

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poèmes antiques et modernes

Joyeux, ils voyaient donc, sanctifiant leur gloire[1],
Ce prêtre offrir à Dieu leur première victoire.
Pour lui, couvert de l’aube et de l’étole orné.
Devant l’autel agreste il s’était retourné.
Déjà, soldat du Christ, près d’entrer dans la lice.
Il remplissait son cœur des baumes du calice.
Mais des soupirs, des bruits s’élèvent ; un grand cri
L’interrompt ; il s’étonne, et, lui-même attendri,
Voit un jeune inconnu, dont la tête est sanglante,
Traînant jusqu’à l’autel sa marche faible et lente.
Montrant un fer brisé qui soutenait sa main.
Qui défendit sa fuite et fraya son chemin.
C’est un de ces guerriers dont la constante veille
Fait qu’en ses palais d’or la royauté sommeille[2].
Il tombe ; mais il parle, et sa tremblante voix
S’efforce à ce discours entrecoupé trois fois :
« Pour qui donc cet autel au milieu des ténèbres ?
N’y chantez pas, ou bien dites des chants funèbres.
Quel Espagnol ne sait les hymnes du trépas ?
Les nouveaux noms des morts ne vous manqueront pas :
J’apporte sur vos monts de sanglantes nouvelles.
— Quoi ! le Roi n’est-il plus ? disaient les voix fidèles.
— Pleurez. — Il est donc mort ? — Pleurez, il est vivant ! »
Et le jeune martyr, sur un bras se levant,
Tel qu’un gladiateur dont la paupière errante
Cherche le sol qui tourne, et fuit sa main mourante[3] :

  1. Var v. 101-102 : O1, Joyeux, ils voyaient donc l’instrument de leur gloire, | Lui-même offrir à Dieu leur première victoire.
  2. Var : O1-O3, Royauté
  3. Byron, Childe Harold, IV, st. 140 (trad. Pichot) : Je vois devant moi le gladiateur étendu sur le sable ; sa tête est appuyée sur sa main ; son mâle regard exprime qu’il consent à mourir… Déjà l’arène tourne autour de lui…