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poèmes antiques et modernes

Parce qu’ayant en vain quarante ans combattu,
Il ne peut rien construire où tout est abattu.
N’importe ! Autour de lui des travailleurs sans nombre,
Aveugles inquiets, cherchent à travers l’ombre
Je ne sais quels chemins qu’ils ne connaissent pas[1],
Réglant et mesurant, sans règle et sans compas,
L’un sur l’autre semant des arbres sans racines,
Et mettant au hasard l’ordre dans les ruines.
Et, comme il est écrit que chacun porte en soi
Le mal qui le tuera, regarde en bas, et voi.
Derrière eux s’est groupée une famille forte[2][3]
Qui les ronge et du pied pile leur œuvre morte,
Écrase les débris qu’a faits la Liberté,
Y roule le niveau qu’on nomme Égalité,
Et veut les mettre en cendre, afin que pour sa tête
L’homme n’ait d’autre abri que celui qu’elle apprête :
Et c’est un Temple. Un Temple immense, universel[4],
Où l’homme n’offrira ni l’encens, ni le sel,
Ni le sang, ni le pain, ni le vin, ni l’hostie,
Mais son temps et sa vie en œuvre convertie,
Mais son amour de tous, son abnégation
De lui, de l’héritage et de la nation ;
Seul, sans père et sans fils, soumis à la parole,
L’union est son but et le travail son rôle,
Et selon celui-là qui parle après Jésus,
Tous seront appelés et tous seront élus.
— Ainsi tout est osé ! Tu vois, pas de statue[5]

  1. Var : O, je ne sais quel chemin
  2. L’école saint-simonienne.
  3. Var : O, B, C1, la note manque.
  4. Var : B-C3, Et c’est un temple. Un temple immense, universel,
  5. Var : O, B, Tu vois ? Pas de statue