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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/275

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paris

Je souris tristement : — « Il se peut bien, lui dis-je,
Que cela nous arrive avec ou sans prodige ;
Le ciel est noir sur nous ; mais il faudrait alors
Qu’ailleurs, pour l’avenir, il fût d’autres trésors,
Et je n’en connais pas. Si la force divine
Est en ceux dont l’esprit sent, prévoit et devine,
Elle est ici. — Le Ciel la révère. — Et sur nous[1]
L’ange exterminateur frapperait à genoux[2],
Et sa main, à la fois flamboyante et timide,
Tremblerait de commettre un second déicide.
Mais abaissons nos yeux, et n’allons pas chercher
Si ce que nous voyons est nuage ou rocher.
Descendons et quittons cette imposante cime
D’où l’esprit voit un rêve et le corps un abîme.
— Je ne sais d’assurés, dans le chaos du sort.
Que deux points seulement, la Souffrance et la Mort[3].
Tous les hommes y vont avec toutes les villes.
Mais les cendres, je crois, ne sont jamais stériles.
Si celles de Paris un jour sur ton chemin
Se trouvent, pèse-les, et prends-nous dans ta main,
Et, voyant à la place une rase campagne,
Dis : Le volcan a fait éclater sa montagne !
Pense au triple labeur que je t’ai révélé,
Et songe qu’au-dessus de ceux dont j’ai parlé
Il en fut de meilleurs et de plus purs encore,
Rares parmi tous ceux dont leur temps se décore,

  1. Var : O, B-C2, Le ciel
  2. Exode, XII, 25 : Le Seigneur passera en frappant de mort les Égyptiens, et lorsqu’il verra ce sang sur le haut de vos portes et sur les deux poteaux, il passera la porte de votre maison, et il ne permettra pas à l’ange exterminateur d’entrer dans vos maisons ni de vous frapper.
  3. Var : O, Que deux points seulement, la souffrance et la mort.