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DE SERVITUDE MILITAIRE.

élégante. Aussi nous étions arrivés au village en face du château, nous avions monté l’escalier de notre petite maison blanche ; nous allions nous séparer sur le carré de nos appartements voisins, que je n’avais pas dit une parole. Là seulement, il me dit tout à coup :

— Elle veut absolument que je donne ma démission ; qu’en pensez-vous ?

— Je pense, dis-je, qu’elle est belle comme un ange, parce que je l’ai vue ; je pense que vous l’aimez comme un fou, parce que je vous vois depuis deux ans tel que ce soir ; je pense que vous avez une assez belle fortune, à en juger par vos chevaux et votre train ; je pense que vous avez fait assez vos preuves pour vous retirer, et qu’en temps de paix ce n’est pas un grand sacrifice ; mais je pense aussi à une seule chose…

— Laquelle ? dit-il en souriant assez amèrement, parce qu’il devinait.

— C’est qu’elle est mariée, dis-je plus gravement ; vous le savez mieux que moi, mon pauvre ami.

— C’est vrai, dit-il, pas d’avenir.

— Et le service sert à vous faire oublier cela quelquefois, ajoutai-je.

— Peut-être, dit-il ; mais il n’est pas probable que mon étoile change à l’armée. Remarquez dans ma vie que jamais je n’ai rien fait de bien qui ne restât inconnu ou mal interprété.