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CHAPITRE III


SUR L’AMOUR DU DANGER


L’isolement ne saurait être trop complet pour les hommes que je ne sais quel démon poursuit par les illusions de poésie. Le silence était profond, et l’ombre épaisse sur les tours du vieux Vincennes. La garnison dormait depuis neuf heures du soir. Tous les feux s’étaient éteints à six heures par ordre des tambours. On n’entendait que la voix des sentinelles placées sur le rempart et s’envoyant et répétant, l’une après l’autre, leur cri long et mélancolique : Sentinelle, prenez garde à vous ! Les corbeaux des tours répondaient plus tristement encore, et, ne s’y croyant plus en sûreté, s’envolaient plus haut jusqu’au donjon. Rien ne pouvait plus me troubler, et pourtant quelque chose me troublait, qui n’était ni bruit, ni lumière. Je voulais et ne pouvais pas écrire. Je sentais quelque chose dans ma pensée, comme une tache dans une éme-