Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/119

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et il jouait en cent façons sur ces mots de Pierre, de Pierrette, de Pierrerie, de Pierrier, de Pierrot, et cela nous faisait rire tous trois. C’était un grand garçon grandissant encore, tout pâle et dégingandé, avec de longs bras et de grandes jambes, et qui quelquefois avait l’air de ne pas penser à ce qu’il faisait. Il aimait son métier, disait-il, parce qu’il pouvait gagner sa journée en conscience, ayant songé à autre chose jusqu’au coucher du soleil. Son père, architecte, s’était si bien ruiné, je ne sais comment, qu’il fallait que le fils reprît son état par le commencement, et il s’y était fort paisiblement résigné. Lorsqu’il taillait un gros bloc, ou le sciait en long, il commençait toujours une petite chanson dans laquelle il y avait toute une historiette qu’il bâtissait à mesure qu’il allait, en vingt ou trente couplets, plus ou moins.

Quelquefois il me disait de me promener devant lui avec Pierrette, et il nous faisait chanter ensemble, nous apprenant à chanter en partie ; ensuite il s’amusait à me faire mettre à genoux devant Pierrette, la main sur son cœur, et il faisait les paroles d’une petite scène qu’il nous fallait redire après lui. Cela ne l’empêchait pas de bien connaître son état, car il ne fut pas un an sans devenir maître maçon. Il avait à nourrir, avec son équerre et son marteau, sa pauvre mère et deux petits frères qui venaient le regarder tra